Cette nouvelle n’est qu’à moitié de moi. J’ai écrit ma partie lors de l’atelier d’écriture proposé par Ketty Steward pendant le festival Nice Fictions. Elle nous a fait découvrir des textes, puis nous a fait travailler pendant quinze minutes sur des éléments de langages pouvant influencer notre écriture. Enfin, nous avons eu un des textes au hasard pour en écrire la suite et fin (sans savoir, bien sûr, la fin d’origine écrite par l’auteur).
Je me suis retrouvée avec un texte de Dmitri Bilenkine de 1971 : « Incident sur Oma ». J’ai tout de suite su ce que j’allais en faire, clairement inspirée par le petit travail préparatoire, même si je l’ai utilisé de manière détournée. En italique, c’est le texte d’origine, ensuite vient le mien. J’ai pris beaucoup de plaisir à faire cette suite pleine d’espoir.
Comme toujours avant le crépuscule, les « loups » firent entendre leurs « gazouillis » bruyant dans les buissons. Ils se calmèrent à l’approche de l’homme. Puis émergèrent des buissons deux gueules très curieuses qui, tout en clignant des yeux, suivirent du regard la silhouette en scaphandre qui s’éloignait.
La découverte de ce rongeur qui proliférait sur Oma avait d’abord surpris. Non seulement cette petite bête ressemblait à une caricature de loup – modèle réduit – mais encore elle gazouillait ! Cependant, l’humour de la nature finit par être apprécié à sa juste valeur et la bête reçut le nom de « loup ».
Soudain, les oreilles des petites bêtes se dressèrent – agitation ou peur – et les deux animaux voletèrent comme pour éviter une balle.
Toute cette scène se déroula sans que l’homme y prêtât attention. Ecartant de l’épaule l’air compact, Mayorov avançait en hâte sur le sentier à peine visible conduisant au puits où l’ont venait juste d’apprendre qu’un jet de pétrole jaillissait. Découverte extraordinaire, phénoménale !
Sur toutes les planètes, la couleur du pétrole était noire, brune, jaune, à la rigueur rose. Ici, elle était bleue ! S’agissait-il d’une nouvelle espèce ? Ou de quelque chose d’essentiellement différent ?
Mayorov n’était pas d’humeur à remarquer le mouvement silencieux derrière lui qui avait effrayé les « loups ».
En fait, il était plutôt abruti d’avoir travaillé sans relâche. Depuis le début de l’expédition, on ne pouvait dormir que par périodes de deux-trois heures, si grande était l’avidité humaine ! La découverte d’une nouvelle planète offrait un tel champ d’investigations que la fièvre de l’or d’autrefois aurait semblé un rêve, comparée à la fièvre passionnée de la recherche. L’abondance des découvertes donnait le vertige ; elles déferlaient en torrents et les plus surprenantes étaient, comme toujours, celles auxquelles on ne s’attendait pas.
Le soleil framboise foncé d’Oma se trouvait à présent juste au-dessus des arbres de la forêt. Le ciel chatoyait de reflets cuivrés et, même si les troncs feuillus, après s’être repliés silencieusement en vrille, déployaient déjà leurs lais schisteux vers le crépuscule en recouvrant d’ombre le sol humide, en bas régnait une obscurité dorée et rougeâtre. Tout était calme comme dans une cathédrale déserte.
Une lumière mystérieuse interrompit brusquement le cours des pensées de Mayorov. Il leva la tête, regarda autour de lui et sentit alors un regard posé sur lui.
Il se retourna d’un mouvement vif. Personne. Rien. La mousse recouvrant le sol brillait d’un éclat pourpre ?
Mayorov n’était du genre impressionnable. D’ailleurs, les gens sensibles n’ont pas leur place sur les planètes nouvellement explorées, ce qui est tout à fait sensé.
La lueur se fit plus intense. Mayorov sentit ses reflexes militaires prendre le dessus malgré la fatigue. Il lui fallait rester pragmatique, surtout sur une planète inconnue. Cette sensation palpable et désagréable d’un regard scrutateur le perturbait. Il froça sa marche en direction du puits, tout en jetant des coups d’œil tout autour de lui avec nervosité.
La mousse de chaque côté du sentier semblait plus brillante. Saisi d’un bref vertige, l’homme sentit l’air s’épaissir autour de lui, au point de craindre de suffoquer malgré son scaphandre. Il accéléra le pas, plus que jamais méfiant. Pourquoi l’avait-on envoyé seul constater qu’il y avait bien du pétrole sur Oma ? On aurait pu lui adjoindre, si ce n’est une escouade, au moins un coéquipier ! La base était pleine de curieux prêts à s’aventurer à la recherche d’une gloire éphémère grâce à une nouvelle découverte.
Soudain, la lueur mystérieuse se condensa en un rayon bleu, jaillissant du fameux puits qu’il n’avait pas encore réussi à atteindre. Mêlé à la lumière rouge du soleil, ce phénomène s’accompagnait d’une aura violette partout où il zigzaguait. Touchant faune et flore de manière aléatoire, il ne faisait cependant aucun dégât.
Aussi lorsque Mayorov fut touché à son tour, il ne s’inquiéta pas outre mesure. Ses réflexes auraient dû lui permettre de faire un bond de côté pour l’éviter.
Au lieu de cela, son regard se posa sur l’environnement transformé partout où me rayon avait agi. Les « loups » sortirent de nouveau de leurs cachettes, gazouillant de plus belle. Certains troncs semblaient plus feuillus encore, et la couleur dorée au sol plus douce et accueillante.
Mayorov décida qu’elle avait bien le temps de se poser quelques instants. La mousse était souple sous elle, malgré la rigidité du scaphandre. Le puits avait toujours été sur cette planète, aussi pouvait-elle bien s’accorder ce moment de contemplation. Elle observa les parades amoureuses des rongeurs. Aucun exobiologiste n’avait encore parlé de cela à sa connaissance. De petites fleurs brillantes, d’un rouge vermillon, s’étaient épanouies à la surface des troncs, et attiraient des insectes qui s’apparentaient à des butineurs. Elle aurait presque voulu ôter son casque pour s’emplir de leur parfum. S’étirant pour détendre ses muscles noués par la fatigue, elle se releva afin de poursuivre son exploration. Oma était une belle planète, accueillante et pleine de ressources qu’il faudrait découvrir et respecter. La femme ne doutait pas qu’il y aurait une forme de pétrole là où elle se rendait. Mais le point le plus important qu’elle soulignerait dans son compte-rendu, une fois rentrée à la base pour profiter d’un vrai long cycle de sommeil, serait d’être vigilant. Il fallait à tout prix respecter la nature environnante et ne pas épuiser trop vite cette ressource naturelle utile, comme leurs ancêtres s’étaient acharnés à tuer leur planète d’origine.
Un sourire flottait doucement sur ses lèvres.
Oui, Oma était un paradis avec lequel les humains pouvaient vivre en harmonie.
Aucune réponse