Cette nouvelle a fait partie des 12 finalistes au concours organisé par l’ENSTA Paris Tech en 2018 (sur plus de 150 textes reçus). Le thème était « météorites ».
On y retrouve Foxanne Maupertuis, mon personnage récurrent dans certaines nouvelles, une mineuse de glace dans la Ceinture d’Oort. Elle est présente dans les nouvelles Un espace glacé et Buffle-73.
Foxanne Maupertuis avait lancé son Détecteur Grande Portée. La mineuse de glace venait de repartir de sa station d’attache, une raffinerie située au fin fond du système solaire, au niveau du Nuage d’Oort. Les corps célestes contenus dans ce dernier représentaient une importante source de méthane, d’éthane et parfois de métaux précieux. Mais ils contenaient également un des éléments essentiels à la vie des humains : de l’eau sous forme de glace. Et c’était exactement ce que la jeune femme cherchait. Sa famille, basée sur la mégastation Hills-One où elle avait grandi et étudié, comptait beaucoup de mineurs spatiaux, et un de ses oncles lui avait fait découvrir la glace lorsqu’elle était jeune. Elle avait tout de suite adoré cette matière, et en avait tout naturellement fait sa spécialité et sa source de revenus.
Depuis, elle s’épanouissait dans son poste de mineuse rattachée à Opik-3. Elle avait rapidement réussi à trouver un équilibre satisfaisant entre ses missions, les quelques interactions sociales sur la station-usine lors de ses livraisons, et ses rares vacances sur Hills-One. Solitaire, elle partageait malgré tout son quotidien avec Dean, l’Intelligence Artificielle de son vaisseau. Il la secondait fidèlement et avec efficacité, et elle n’avait pas besoin de plus. La glace répondait à toute la passion dont elle avait besoin pour survivre dans des conditions très rigoureuses.
— Dean, pousse la vitesse de 42 %, nous sommes sortis du périmètre d’Opik-3. Je t’ai indiqué le calcul d’une trajectoire inhabituelle, vers le secteur M33. J’ai vu des infos sur la chaîne de la Galactic Meteoritical Society à propos d’une météorite qui va y passer.
— Commande enregistrée. J’accélère et je vérifie les instructions de direction.
La dépêche avait attiré son attention. Comme beaucoup de mineurs, elle savait que ce genre de bolide pouvait grandement perturber la toponymie de sa zone de passage. Il rendrait alors accessibles certains blocs qui ne l’étaient pas jusque là. Et surtout, l’objet lui-même était souvent composé d’éléments plus riches à récupérer.
Elle avait donc lancé son DGP dès la sortie de la raffinerie afin de déterminer le plus vite possible la composition de la météorite. La jeune femme espérait que cela vaudrait le déplacement. Surtout qu’un objet mouvant n’avait rien à voir avec un corps céleste de la ceinture : il fallait le poursuivre, et régler sa vitesse sur la sienne avant de pouvoir forer. Parfois, il fallait s’y poser en se cramponnant à lui, pour plus de stabilité, si la récupération s’avérait délicate. Et lors de quelques rares cas, l’angle entre le filon et l’endroit où l’engin était posé forçait les mineurs à sortir pour procéder à des forages manuels. On appelait ça « chevaucher la comète » dans son jargon, et c’était loin d’être aisé. Choisir de s’attaquer à une météorite impliquait donc systématiquement des risques à prendre. Cette idée plaisait malgré tout à la jeune femme : au-delà d’un éventuel bonus, ce type d’événement cassait sa routine.
Elle s’était installée au poste de forage pour suivre les différents relevés. Elle avait aussi demandé à Dean de rassembler toutes les données sur la météorite.
— L’observatoire a émis plusieurs hypothèses de trajectoires : elle devrait normalement s’écraser sur Mars, cependant sans toucher de zone colonisée. Ils n’ont déclenché aucune alerte, et n’ont pas demandé aux instances d’Oort de tenter de la rediriger. Son accès est donc autorisé pour les mineurs.
— Super, Dean, merci. Je pense rarement à l’endroit où tombe ce genre de truc, à vrai dire… C’est là que je me rends compte à quel point je me sens peu concernée par les « ensoleillés » !
Ce surnom affectueux désignait les humains qui vivaient sur Terre ou sur les colonies qui bénéficiaient d’un minimum d’ensoleillement. Comme tous ceux nés aussi loin de l’astre solaire, Foxanne pensait à eux comme à des parents très éloignés, et dont les conditions de vie lui étaient totalement inconnues.
Son détecteur avait repéré la météorite, et avait commencé le scan. La chance lui souriait : c’était de la roche toute bête, avec un peu de fer, mais son centre renfermait une importante quantité de glace H2O. Un large sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme à l’idée de remplir sa soute.
— Dean, confirmation de la trajectoire. Je te laisse ajuster notre vitesse pour nous caler dessus. Moi je mange un morceau avant d’arriver.
— Commande enregistrée. Initialisation de la manœuvre d’interception.
Foxanne s’étira, en pensant que sa journée commençait fort bien. Elle se dirigea vers l’échelle centrale de son vaisseau pour gagner la pièce qui lui servait de bureau, de chambre et de salle à manger. Elle aimait bien son petit appareil, dont elle n’avait pas changé depuis ses débuts dans le métier. Pour une femme seule, il suffisait amplement. Une fois assise en haut, elle attrapa une barre protéinée goût champignons. Il lui faudrait patienter plusieurs heures avant d’atteindre l’objectif…
La jeune femme gardait les yeux rivés sur son viseur. De là, elle pouvait gérer ses instruments de forage, mais aussi déterminer le meilleur angle d’attaque. La vitesse d’approche n’était pas un problème pour son appareil, mais le filon ne serait pas facilement accessible.
— Dean, passe sous le cap de 37,2 et augmente le stabilisateur d’un huitième. Je pense qu’on peut y accéder par là… En tout cas, j’espère, parce que sinon, tu vas devoir te poser dessus !
— Commande enregistrée. J’ajuste notre trajectoire.
— OK, c’est pas mal là… Je lance la foreuse !
— Attention, je détecte une rotation inattendue.
— Et flûte ! Compense, Dean !
— Commande enregistrée. Correction effectuée, mais la foreuse n’est plus alignée.
— Bon, je ne vais pas perdre trois plombes là-dessus, on va utiliser la manière forte. Dean, pose-toi dessus ! Essaye dans le cadran que j’ai repéré, ce sera plus facile pour manier la perche.
— Commande enregistrée. Atterrissage programmé, je lance les crampons d’arrimage.
Elle soupira tout en fronçant les sourcils. Elle avait espéré une récolte facile… Cela commençait plutôt mal. Elle n’aimait pas forcer sa chance, mais vu le temps et l’énergie déjà investis, elle ne pouvait pas se permettre de repartir à vide. Une onde de choc fit frémir la carlingue : son IA avait posé l’appareil. Elle se pencha de nouveau sur son viseur pour relancer le forage avec ce nouvel angle d’attaque.
— Dean, augmente la poussée de 3,14. Je commence la récupération.
— Commande enregistrée. Augmentation de la poussée.
Elle mina ainsi pendant deux bonnes heures, avec délicatesse et précision. Elle se détendait peu à peu, imaginant toute la matière bleutée qui emplissait sa soute. Elle avait aussi eu le temps de repérer un élément plus rare : de la taafféite. Il n’y en avait que quelques grammes, coincés sur le flanc d’une poche rocheuse. Si elle voulait les récupérer, il allait falloir qu’elle sorte.
— Je suis bien tentée… Même si ça doit bien faire cinq ou six ans que je n’ai pas « chevauché de comète », le prix moyen de ce minéral en vaut le coup. Dean, nous sommes bien agrippés ? À combien évalues-tu le risque d’une sortie ?
— Le vaisseau est parfaitement arrimé, mais l’indice de sécurité ne dépasse pas 75 % à cause des rotations imprévisibles de la météorite. Il faudra poser des crampons pour se déplacer.
— Hum… Tu as raison : si je veux descendre dans la cavité, je crois que je n’ai pas le choix, je vais devoir m’encâbler. Qu’est-ce qu’on ne fait pas pour de la taafféite ! Allez, j’active la combinaison de sortie.
Elle fit reculer son siège pour quitter le poste de forage. Elle troqua sa tenue de travail pour une fine combinaison isotherme, par-dessus laquelle elle enfila la tenue spatiale. Cette carapace rigide la protégeait des radiations et du vide spatial. Foxanne attrapa aussi un sac avec quelques outils et une poche hermétique pour les métaux précieux qu’elle rapporterait. Elle était parée.
— OK, Dean, étanchéité du casque et de la combinaison vérifiée, j’entre dans le sas. Tu pourras ouvrir ensuite.
— Commande enregistrée. Ouverture en attente.
Elle espérait bien prendre une ou deux images de sa sortie, pour ajouter à sa collection et envoyer à sa famille et ses quelques amis. Mais uniquement si elle réussissait à récupérer le fameux minéral à base de magnésium et de béryllium.
— Sinon ce serait de l’esbroufe pour pas grand-chose !
Elle posa un premier pied sur la roche, puis un deuxième, et lança un crampon devant elle. Elle n’avait pas l’impression que le météorite bougeait beaucoup, et ne ressentait pas sa vitesse dans l’espace.
— Dean, j’avance vers le renfoncement. Éclaire donc le coin avec les lampes latérales.
— Commande enregistrée. Projecteurs allumés.
Elle avait repéré le trajet sur ses écrans, aussi se hissa-t-elle facilement sur la petite butte qui surplombait la cavité. Elle actionnait régulièrement son lanceur pour fixer des attaches métalliques au fil de sa progression. Elle observa les rebords du trou, les trouva plutôt stables, puis entama sa descente.
— Eh, mais il reste de la glace là-dessous ! Flûte alors, je n’ai pas tout récupéré… Je n’arriverai jamais à transporter ces morceaux-là. Et impossible d’engager la perche là-dedans. Dommage…
La taafféite qu’elle allait récupérer la consolait de ce renoncement. Elle observa le fond de la cavité tout en descendant lentement. Son éclairage frontal renvoyait des lueurs féériques sur les parois, et elle dut se retenir d’aller jusqu’au fond pour toucher la matière froide. Le signal de son détecteur la tira de sa contemplation.
— Ah, voilà, tu es là, mon précieux !
Elle commença à s’activer pour récupérer le minuscule gisement. Elle traça le contour global avec un gros fusain, puis laissa échapper un juron.
— Mais… Mon crayon est tombé au fond ! Et là, ça va pas être faisable d’aller le chercher. Tant pis… Dean, ajoute « fusain » sur la liste de courses. Heureusement que j’avais fini le marquage.
— Commande enregistrée. C’est dans la liste pour le prochain passage sur Opik-3.
Outils en main, elle s’activa pour creuser sur la ligne qu’elle avait dessinée, puis détacher le bloc de la paroi. Elle pourrait affiner la taille à l’intérieur du vaisseau, ou même le revendre brut et laisser à quelqu’un d’autre ce travail de précision. Ses ciseaux n’étaient pas de bonne facture et perdaient des copeaux de métal, sans parler de la poussière de roche qu’elle créait. Mais au bout d’une quinzaine de minutes de travail, elle avait réussi. Le morceau intéressant finit à l’intérieur la pochette. Après un dernier regard vers les blocs de glace inaccessibles, Foxanne se propulsa en direction de la sortie de la cavité. Elle récupéra ses crampons les uns après les autres sur le chemin du retour. Elle n’était pas mécontente à l’idée de réintégrer un abri sûr.
— OK, Dean, une fois que je suis rentrée, je te laisse les commandes pour décrocher délicatement le vaisseau. La soute n’est pas tout à fait pleine, il va falloir compléter le chargement avant de rentrer à la maison. Le temps de me changer, de ranger ce que j’ai récupéré, et je prépare la trajectoire.
— Commande enregistrée. Décrochage programmé.
Elle sifflota tranquillement, satisfaite de sa journée. Elle avait même eu le temps de prendre quelques photos et un court holo depuis le monticule. Le rendu était plutôt chouette, elle allait pouvoir l’envoyer à son réseau.
La météorite avait terminé son voyage à travers le système solaire. Comme prévu par les humains, elle alla s’écraser dans un endroit reculé de Mars et ne causa aucun dégât notable. Sa taille aurait été bien plus problématique pour la Terre, bien sûr. Mais dans cette atmosphère-là, il n’y avait rien à craindre d’autre qu’un cratère et des retombés de sable sur plusieurs kilomètres. Seule une réaction chimique avait eu lieu au moment de son écrasement : de l’eau, du métal et du carbone avaient été mis en contact au sein du bolide. L’ensemble serait préservé et réchauffé dans le sol de la planète rouge.
La vie allait pouvoir s’y développer.
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