Cette nouvelle a été rédigée dans le cadre du Match d’écriture organisé par Nice Fictions en décembre 2016. Le Match était accessible à distance à condition de respecter la limite horaire.
Le principe était d’écrire en moins de deux heures une nouvelle avec un thème imposé : la ville, ainsi que trois mots-clefs révélés au début du Match.
Ces trois éléments étaient :
– contrainte de lieu : un sous-sol
– contrainte de temps : un week-end
– contrainte de situation : une dispute
Dorian venait de refermer rageusement la porte d’accès aux contrôles de communication. Cela faisait maintenant presque deux heures que tous ici cherchaient d’où pouvait bien venir la panne. Le centre de contrôle était totalement sous effervescence : ils étaient censés recevoir, pour la toute première fois de l’histoire de l’humanité, une délégation extra-terrestre, et voilà que la technique les lâchait. Alors que c’était un jour historique !
Zora s’évertuait à lancer des lignes de code sur sa console, sans bien sûr obtenir de succès. Elle tapait rageusement, du bout de ses ongles laqués, comme si elle voulait défoncer le clavier — pourtant virtuel. Elle pestait à haute voix pour se défouler de cette frustration que tous partageaient.
— Mais ce n’est pas possible ! On a l’honneur d’être ceux qui répondront au fameux « premier contact » sur lequel l’humanité fantasme depuis des siècles, et voilà qu’on est infoutu de faire marcher quoique ce soit ici ! Aucune autre ville ne peut prendre le relai ? Même si c’est le week-end ? Histoire de nous laisser dans notre panade sans passer pour des incapables aux yeux du monde !
L’homme se tourna vers elle en époussetant son insigne de directeur, lassé par ses jérémiades qui ne servaient pas à faire avancer quoi que ce soit, à part les mettre tous encore un peu plus sur les nerfs.
— Le fantasme, on s’en fout ! Concentre-toi au lieu de te plaindre, ça nous fera à tous ici des vacances ! Petra-Triton est la ville qui était la mieux placée au vu des échanges alambiqués avec ces mystérieux extra-terrestres, tu le sais aussi bien que moi ! Nous avons les infrastructures parfaites, notre astroport est vaste et flambant neuf, et nous sommes censés être la meilleure équipe qui soit ! Alors, la ferme ! Et tant que j’y suis, Dim’, relance donc l’auxiliaire B-33 en même temps que madame relance le protocole d’urgence, je ne vois que ça pour le moment.
Zora lui jeta un regard noir, mais obtempéra, se coordonnant avec ledit Dimitri. Elle savait que Dorian avait raison, dans le fond. Leur ville avait tout de suite été la candidate parfaite. L’orbite de Neptune était dans un axe idéal pour ces visiteurs tant attendus, à ce qu’ils avaient compris. Et sa lune Triton, et surtout sa ville Petra-Triton, offraient la meilleure vitrine technologique et technique des terriens. Avec même un peu d’écologie pour finir d’emballer ça dans une propagande mûrement réfléchie par les différents gouvernements et coalitions de leur bonne vieille planète mère. C’est pourquoi ils étaient tous tirés à quatre épingles, rasés de près et coiffés professionnellement aux frais de la Spatiale. La tour de contrôle du spatioport aurait dû transpirer de fierté et d’honneur, mais au lieu de cela, tout le monde était totalement catastrophé.
— Ok Dorian, c’est en cours… Mais si là ça ne marche pas, on n’a plus qu’à descendre vérifier la tuyauterie dans les sous-sols !
Dim était à quatre pattes sous un des pupitres de commande, sans aucune considération pour son pantalon tout propre. Tous étaient sur les dents, nerveux et à fleur de peau. Si encore il n’y avait eu que cette panne incompréhensible…
Or, il se trouve que tous les scrutateurs observaient le ciel depuis plusieurs jours, sans voir aucun vaisseau spatial. Pas l’ombre d’un quelconque objet non identifié dans le ciel du système solaire, jusqu’au Nuage d’Öpik-Oort. Rien. Juste leurs propres vaisseaux tout à fait terriens. C’était à n’y rien comprendre. Si la rencontre tant attendue devait bien avoir lieu aujourd’hui comme prévu, les satellites et les sondes auraient dû avoir la trace de l’approche sur leurs capteurs et senseurs !
Pourtant, absolument tous ceux qui avaient pu participer aux échanges avec l’espèce « Enigma » étaient formels : il y avait beau avoir quelques difficultés pour se comprendre clairement, et de nombreux éléments flous dans les discussions, c’était bien aujourd’hui la fameuse date de premier contact : ce dimanche-ci, quoique sans précision d’horaire. Elle avait été encore confirmée pas plus tard qu’avant-hier par leurs énigmatiques interlocuteurs. Certes, cela aurait été plus facile si les humains avaient su à quoi ressemblaient les visiteurs. On aurait alors pu extrapoler les dimensions du vaisseau, mais aussi mieux préparer le comité de réception et les dispositions prises pour les accueillir avec le plus de dignité et de répondant possible. Mais faute de détails précis sur leurs caractéristiques, les dirigeants s’étaient surtout concentrés sur un aspect marketing égocentrique, à savoir comment présenter le meilleur visage possible et surtout le plus crédible qui soit.
En attendant, la ville de Petra-Triton n’en finissait plus de se préparer à accueillir leurs illustres invités, même sans savoir à quoi s’attendre. La ville était en fête, et tous les yeux étaient braqués vers le spatioport. Il faut dire qu’on avait omis de prévenir les habitants de la panne monstrueuse qui s’y déroulait depuis un peu moins de deux heures.
— OK, les gars, je descends, je ne vois plus que ça. Zora, puisque tu as suggéré la chose, tu viens avec moi. Direction les sous-sols pour aller inspecter les kilomètres de câbles et les terminaux qui sont là-bas !
La rousse fulmina, se levant théâtralement en criant.
— Et c’est moi qui m’y colle, bien sûr ! Nick ou Estola pourraient y aller, mais non, il faut que ce soit moi qui aille me farcir la visite de la cave ! Merci bien ! Vive les week-ends de boulot, hein !
— Tu vas la fermer, mais c’est pas vrai ! C’est un ordre, point, il n’y a pas à discuter ! Tu es la meilleure programmatrice que j’ai sous la main, désolé pour Nick et Estola, mais ils savent que c’est vrai. Je préfèrerai éviter de me traîner ta grande gueule avec moi, mais je n’ai pas le choix : nous devons reprendre le contrôle de ce bordel ! Alors, tu arrêtes de monter sur tes grands chevaux, tu prends ton matos et tu me suis bien sagement. Pigé ?
— Ouais, à vos ordres, chef. N’empêche que ça me gonfle prodigieusement d’aller crapahuter en bas alors qu’on ne sait même pas si ça vient bien de là.
— Moi non plus, mais tant qu’on n’est pas allé voir, on n’en saura rien !
Dorian attrapa son manteau et ses lunettes contre le froid et enfila ses bottes fourrées. Les sous-sols avaient été creusés à même le sol de la lune froide, ce qui était parfait pour toute l’informatique et la machinerie, mais pas pour les humains au sang chaud. Zora fit de même en marmonnant, lançant des regards noirs derrière elle comme si le reste de l’équipe était responsable de ce qui lui arrivait.
Ils avancèrent rapidement en bas, une fois les ascenseurs, portes à codes et autres sas de sécurité passés. Le froid était vif, et la lumière tamisée. Le sous-sol était vaste, et surtout bien peu à l’image du reste de la ville. Si partout, cela sentait le flambant neuf et les prouesses technologiques, ces couloirs souterrains n’avaient connu aucun architecte décorateur pour les agencer. Dorian et Zora se perdirent même une fois, rebroussant chemin en ayant vu sur leurs tablettes qu’ils avaient manqué un embranchement caché par une armoire laissée grande ouverte. La jeune femme en profita pour râler de nouveau.
— Une fois que tout sera rentré dans l’ordre, je ferai un rapport sur ce sous-sol merdique : ce n’est pas permis d’avoir des choses laissées comme ça en travers du chemin… Même les câbles trainent au sol au lieu d’être passés dans des conduits, c’est du grand n’importe quoi !
Dorian était plutôt d’accord avec la rouquine, pour une fois, aussi il ne répondit pas. Ce n’était pas la première fois qu’il descendait pour vérifier certains éléments, et il s’était fait la même réflexion à chaque fois. Et si même lui, plutôt familier des lieux, arrivait à se perdre, qu’est-ce que ça serait si une équipe d’intervention extérieure devait trouver son chemin dans un but précis ? Non, Zora avait raison, il fallait faire quelque chose pour ce bazar. Il ferait lui aussi un rapport, en joignant un plan personnel et annoté des couloirs et des salles.
Ils arrivèrent à l’endroit d’où pouvait potentiellement venir la panne, en tout cas selon les différents spécialistes de l’équipe — Dorian inclus. La lumière était plus chiche encore, et des câbles se mêlaient anarchiquement en direction de la salle des calculateurs et autres terminaux. Soudain, Zora se figea en attrapant l’épaule de son supérieur.
— Tu as entendu ?
Elle chuchotait, et cela plus qu’autre chose prît Dorian au dépourvu. Il s’immobilisa, tous sens éveillés, à la recherche de ce qui l’avait fait réagir. Et il frissonna de la tête aux pieds : une étrange mélopée lui parvenait depuis le fond de la prochaine pièce, voire du couloir attenant. C’était doux et harmonieux, même si les sons semblaient différents de tout ce qu’il avait pu entendre jusque là. Il fronça les sourcils, sûr que ce n’était pas un quelconque technicien qui s’était créé un nid secret pour pioncer. C’était trop surnaturel, trop inhabituel, trop différent pour que ce soit… humain ?
— Ho merde. J’ai une affreuse intuition, là. Zora, je crois que le fameux premier contact, ça va être pour toi et moi.
La jeune femme écarquilla les yeux, trop scotchée pour répondre, puis s’ébroua en voyant Dorian avancer doucement vers la source des chants. Toutes les fibres de son corps étaient tendues, car elle se rendait compte qu’il avait probablement raison. Tout le monde avait attendu un vaisseau spatial, à la manière dont les humains voyagent eux-mêmes. Quelle grossière erreur ils avaient tous commise !
Dorian déboucha dans la salle, bien plus ému qu’il ne l’aurait cru. Les câbles au sol avaient été sectionnés proprement, comme si un laser les avait tranchés, et au milieu d’eux se trouvaient des espèces de boules de fourrures qui chantaient et ronronnaient. Une ambiance paisible et agréable se dégageait de la scène, et les deux humains se sentaient envahis d’une paix et d’une tranquillité sans précédent. En regardant bien la scène, Dorian comprit alors que l’espèce « Enigma » essayait apparemment de communiquer avec un terminal haut de deux mètres et dont les lumières clignotaient à intervalles réguliers.
Les extra-terrestres avaient été à l’heure au rendez-vous sur Petra-Triton : c’est juste qu’ils savaient voyager à travers l’espace et les matières, et que le sous-sol bordélique du spatioport leur avait servi de comité d’accueil en ce dimanche historique.
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