[Nouvelle] Présence de l’abîme

Voici ma réponse à un défi proposé sur Scribay où il fallait écrire une histoire à partir de la couverture et le titre générés aléatoirement sur http://www.omerpesquer.info/untitre/ ! J’ai trouvé cet exercice très amusant à faire. Il faut dire que j’ai eu de la chance avec cette belle couverture et, surtout, ce titre inspirant.

Pottinger était installé aux commandes de son petit vaisseau de minage, pestant contre le vent stellaire qui l’avait dévié de sa course, et l’avait propulsé dans l’attraction d’une comète de passage. Il avait lutté comme un beau diable pour tenter de rétablir sa course initiale, sans succès. Son moteur n’en avait pas eu la force nécessaire. Il pesta.

— Mais c’est pas vrai ! Nox, calcule la trajectoire !

— Commande enregistrée. Calcul en cours.

Rattaché à la station de raffinerie Opik-1, Pottinger était mineur de l’espace. Ou plus précisément, mineur dans le Nuage d’Oort, comme tant d’autres qui cherchaient là un métier honorable et nourrissant. Enfin, nourrissant… Un métier en tout cas. Les perspectives d’avenir n’étaient pas très nombreuses quand on naissait et grandissait au fin fond du système solaire. Et il fallait être prêt à faire des sacrifices si on voulait gagner un peu d’argent. Les conditions de vie des mineurs étaient loin d’être les meilleures, tant tout était rationné. La nourriture, l’eau, et même l’oxygène. Il faut dire qu’en plus de ça, il avait choisi la voie la plus lucrative, mais également la plus difficile : dans les objets en mouvement du Nuage du méthane, de l’éthane ou encore de l’eau sous forme de glace, Pottinger avait choisi de se spécialiser en métaux précieux. Il devait être plus intuitif, plus précis et plus aventureux que quiconque pour dénicher les filons qui rapportaient. Seul dans le petit vaisseau qui lui avait été attribué au sortir de sa formation, il parcourait le Nuage en louvoyant entre les blocs de glace et autres morceaux de matières variées. Heureusement pour sa survie dans ce ballet incessant, les censeurs perfectionnés de son appareil lui permettaient d’éviter les chocs. En revanche, rien n’avait été conçu pour les vents stellaires soudains, comme celui qui avait frappé son engin un quart d’heure plus tôt. Sa violence l’avait surpris, mais c’était de sa faute : il s’était aventuré un peu trop loin, et surtout vers l’extérieur du Nuage d’Hills, se privant de son abri relatif. Il avait cru détecter un rocher assez gros pour contenir des métaux et s’était rué dans sa direction sans vigilance.

— Calcul terminé : trajectoire impossible à concevoir. Référentiels absents. Ondes radio d’Opik-1 non détectées.

— Quoi ? Mais qu’est-ce que c’est que ce merdier ? Je n’ai pas pu m’éloigner à ce point, quand même ? Nox, où sommes-nous ?

— Commande enregistrée. Position relative inconnue. Position supposée dans le Nuage d’Oort, au-delà du Nuage interne dit de Hills.

— Ben me voilà vachement avancé, merci, Nox, vraiment, à se demander à quoi ça sert d’avoir une intelligence artificielle à bord, hein.

— Commande enregistrée. Je n’ai pas compris votre demande.

— Laisse tomber… Annule, Nox.

— Commande enregistrée.

Il essaya de nouveau de manier les commandes de pilotage pour extraire son vaisseau de l’attraction de la comète, sans y arriver. Il décida de prendre son mal en patience, la gravité de Sol allait faire son travail et la ramener tôt ou tard dans le Nuage interne, puis il profiterait des objets mouvants pour se dégager facilement. Il lui suffisait de patienter un peu. Et quitte à coller au train de cette comète, peut-être pourrait-il récupérer des choses intéressantes en la forant un peu.

— Nox, lance le scanner.

— Commande enregistrée. Activation du scanner.

Soudain, le vaisseau fut secoué et Pottinger eut un haut-le-cœur malgré les compensateurs d’inertie.

— Bordel, c’est quoi ça encore ? Nox, que se passe-t-il ?

— Commande enregistrée. Inspection de l’intégrité du vaisseau et vérification de la trajectoire déjà en cours. Recherche de la cause du changement brutal d’orientation.

— OK, je retire ce que j’ai dit, tu as de bons réflexes.

Il fronça les sourcils en inspectant le scanner qui était toujours actif, et se demandait ce qu’il voyait non loin de lui : une forme gigantesque non loin devant qui ne ressemblait à rien de déjà observé.

— Situation et trajectoire stables. Vaisseau en parfait état. Faille spatiale droit devant. Attention, je détecte les signaux d’un vaisseau de minage en provenance de son centre.

— Mais qu’est-ce que c’est que ce merdier ?

Il pianota sur plusieurs touches devant lui, basculant les censeurs droits devant et lança l’interface de communication.

— Appel au vaisseau inconnu dans la faille. Ici Pottinger, matricule P-013-MP, vaisseau rattaché à Opik-1. Avez-vous besoin d’assistance ?

Les êtres humains dans l’espace ne laissaient jamais personne sans assistance. Le bon sens primait : si un jour on se retrouvait en panne, on souhaitait être secouru. Il était donc logique de réagir de même, et de porter assistance à ceux qui le demandaient. Les conditions difficiles qu’était la vie quotidienne dans l’espace avaient leurs règles tacites.

— Message entrant en provenance de la faille et du vaisseau en son centre : « Appel au vaisseau inconnu dans la faille. Ici Pottinger, matricule P-013-MP, vaisseau rattaché à Opik-1. Avez-vous besoin d’assistance ? »

Le cœur du mineur manqua un battement, un vertige le prit et son dos se couvrit de sueur froide. Entendre sa propre voix en provenance de la faille spatiale, comme s’il s’agissait d’un autre vaisseau, était profondément choquant.

— L’abîme… Merde, je suis en face de l’abîme…

Il était paralysé. La frayeur tétanisait tous ses muscles. C’était pourtant un racontar, une rumeur qu’il n’avait jamais prise au sérieux… Des histoires d’ivrognes… Des vaisseaux avaient disparu parce que leurs pilotes n’avaient pas été prudents, voilà tout ! Et pourtant, quelques-uns étaient revenus et ils n’avaient plus jamais voulu voler. Ils disaient avoir rencontré leur propre fantôme… On les internait souvent, en tout cas ils étaient envoyés dans des stations comme Hills-One, Hills-Two ou Hills-Three, des complexes gigantesques qui se substituaient à une vie planétaire, pour être suivis. On ne les rencontrait plus jamais dans des stations de raffinerie, voire on ne les recroisait plus jamais du tout.

— Attention, le vaisseau est en approche de la faille spatiale. Ce genre d’objet est classé comme potentiellement dangereux. Dois-je laisser la trajectoire actuelle ou dois-je en programmer une nouvelle ?

La voix de l’IA fit l’effet d’un électrochoc à Pottinger. Il s’ébroua et, les yeux toujours exorbités par la tension nerveuse, cria ses directives d’une voix plus haut perchée qu’à son habitude.

— Évitement ! Nox, procédures d’évitement ! Change cette trajectoire ! Poussée maximale en T-225 !

— Commande enregistrée. Inversion de direction. Retournement et poussée maximale. Déclenchement des sécurités et augmentation des compensateurs d’inertie.

Pottinger s’accrocha de toutes ses forces à son fauteuil pour éviter d’être projeté dans la manœuvre. Il serrait les dents si fort que ses mâchoires blanchissaient sous la pression. Le vaisseau se cabra.

— Message entrant en provenance de la faille et du vaisseau en son centre : « Revenez, ne partez pas ! Ne m’abandonnez pas ! Je demande assistance ! Ici Pottinger, matricule P-013-MP ! Help ! »

Son cœur battait la chamade. Il savait que c’était exactement les propos qu’il aurait prononcés. Mot pour mot. C’était comme s’il s’abandonnait lui-même. La sensation était tellement troublante qu’il commençait à comprendre ce qui avait pu se passer pour les autres pilotes confrontés à l’abîme.

— Message entrant en provenance de la faille et du vaisseau en son centre : « Vous me recevez ? Dites-moi que vous me recevez ? Pourquoi faites-vous demi-tour ? Vous m’avez forcément détecté ! Help ! »

Il sentait les sueurs froides couler le long de sa colonne. Il avait l’impression qu’il prononçait lui-même les mots qu’il étendait, et la sensation provoquée n’avait rien d’agréable. L’angoisse exprimée était d’autant plus palpable.

— Message entrant en provenance de la faille et du vaisseau en son centre : « Je vous en supplie ! Je vais mourir ! Venez m’aider ! Ne m’abandonnez pas ! »

Il faillit ordonner à son IA de faire demi-tour, tellement le message de détresse vibrait dans toutes les fibres de son corps. Il avait l’impression de l’avoir lui-même prononcé.

— Commande enregistrée. Trajectoire en cours de calcul.

— Quoi ? Nox, je ne t’ai rien demandé ! Qu’est-ce que tu fais ?

— Commande enregistrée. Je suis en train de programmer le retour à Opik-1 en rejoignant le Nuage interne dit de Hills, comme vous venez de me l’ordonner. Souhaitez-vous changer votre demande ?

— Non, non… C’est bon, Nox, on rentre à la maison… Mais je ne me souviens même pas te l’avoir demandé…

— Commande enregistrée. Calcul terminé et pilote automatique enclenché. Vous m’avez donné l’ordre de rentrer à… Attention, le journal de bord des vingt dernières minutes est endommagé. Accès impossible.

— Hein ? Mais… C’est quoi tout ça ? Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ! Nox ?

— Commande enregistrée. Accès impossible au journal de bord récent. Je ne sais pas pourquoi le fichier a été endommagé. Supposition possible : les vents solaires ont déréglé mes fonctions. Je programme une révision à notre arrivée à Opik-1.

— OK… Même si je suppose bien que… bref…

Il se renversa en arrière dans son fauteuil en soufflant. Il était moite et tremblait encore un peu. Il entendait toujours la voix pleine de détresse dans sa tête. Il ne se souvenait pas avoir ordonné à son IA de rentrer à sa station d’attache, surtout avec ses soutes quasi vides. Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer.

Il savait juste qu’il avait été en présence de l’abîme, et que plus jamais de sa vie il ne voulait revivre ça.

Plus jamais.

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